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Art et amour du cinéma – L’inoubliable ALAIN RESNAIS vu par SANDRINE KIBERLAIN

 

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Alain Resnais

Alain Resnais laisse derrière lui une oeuvre  impressionnante : Oscar du meilleur court métrage (Van Gogh), trois César du meilleur film (Providence, Smoking / No Smoking, On connaît la chanson), deux César du meilleur réalisateur (Providence, Smoking / No Smoking) et six autres nominations dans cette catégorie, deux fois Prix Jean Vigo (Les statues meurent aussi, Nuit et brouillard), Lion d’or à Venise (L’Année dernière à Marienbad), Lion d’argent de la meilleure mise en scène à Venise (Coeurs), trois fois Prix Louis-Delluc (La guerre est finie, Smoking / No Smoking, On connaît la chanson), Grand prix du jury à Cannes (Mon oncle d’Amérique) et Prix exceptionnel du jury pour Les Herbes folles et l’ensemble de son œuvre, deux fois Ours d’argent à Berlin pour la meilleure contribution artistique (Smoking / No Smoking et pour On connaît la chanson et l’ensemble de sa carrière).

Un vrai aventurier du 7e art, un curieux capable d’adapter les thèses d’un biologiste (Mon oncle d’Amérique), un fait divers réel (Stavisky)  ou une pièce d’Henry Bernstein (Mélo).

Son dernier film, Aimer, boire et chanter (ou Life of Riley) remporte le Prix Alfred Bauer à Berlinale 2014. Décerné à un film qui ouvre de nouvelles perspectives dans l’art cinématographique ou offre une vision esthétique novatrice et singulière, ce prix est symboliqye pour l’ouvre entière d’Alain Resnais dont l’esprit avant-gardiste l’a poussé en permanence à se risquer sur des territoires inexplorés.

Dans un interview pris à Berlinale 2014, l’actrice française Sandrine Kiberlain parle avec amour de cet unique réalisateur, en nous faisant un portrait très personnel de l’homme comme du cinéaste Alain Resnais.

Que pensez-vous du personnage que vous jouez dans Aimer, boire et chanter?

Sandrine: Je pense qu’elle est fragile quand le film commence, elle est prête à vivre une nouvelle vie avec un nouvel homme, plus posé que ce George qui a l’air d’être un tourbillon,  un courant d’air, un séducteur…Et la vie va la surprendre et va la déstabiliser. En fait, ce George sur lequel tout le monde fantasme puisqu’il n’est pas là, puisqu’on ne le voit pas, va être un révélateur pour chacun d’eux. Et Monica en particulier est très fragilisée parce que : est-ce que l’homme qu’elle a choisi est le bon? est-ce que revenir en arrière serait mieux? […]

Est-ce vous pouvez me parler de votre travail d’actrice avec Alain Resnais?

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Sandrine Kiberlain

Sandrine: Le travail, ça a été d’abord de le rencontrer. Alain ne peut pas s’engager à choisir une actrice sans être à 100% sur de son choix. Moi je pensais que c’était fini, je n’aurais plus la chance de travailler avec lui parce qu’il est très fidèle, c’est toujours une famille avec Alain. Donc là j’ai l’impression d’être entrée dans sa famille. Donc ça a été d’abord ça, le rencontrer et être choisie par lui. Une fois que vous êtes choisie par lui, ce choix représente déjà son univers, représente déjà la confiance qu’il vous porte et à partir de là le travail se déroule très naturellement parceque vous êtes choisie et vous vous dites qu’il vous aime, qu’il a envie que vous soyez dans sa famille, dans sa maison. Et donc après j’ai lu le scénario et après il nous a demandé à chacun d’écrire l’histoire de nos personnages. Et moi j’ai fait un dessin. Je sais qu’Alain est très sensible au dessin, on a parlé beaucoup de ça justement, c’est quelqu’un très curieux mais qui s’inspire beaucoup de ce que vous êtes, de qui vous êtes, voilà, il a envie de vous connaitre aussi. Il n’impose rien, Alain, il veut juste être sur de la rencontre. Après il s’en fout, quoi. Mais j’ai rien lu avant, j’ai reçu le scénario, j’ai travaillé  comme d’habitude, spontanément…Il m’a dit le dernier jour du tournage qu’on était liés  par le coeur… Moi je suis d’accord.

Sur le plateau Alain fait l’impression d’un magicien.  Comment est-il dans la vie, est-ce que vous pouvez nous faire un portrait d’Alain Resnais?

Sandrine: Dans la vie il est, je crois qu’Alain aime dire, il le dit dans son film, il dit que les gens n’ont pas d’âge. Je crois que j’ai presque vingt ans de moins que Sabine, ou qu’André…et on ne le sent pas. On sent que je suis peut-être un peu plus jeune mais on est tous jeunes et le plus jeune du group c’est Alain. C’est comme si l’on était tous les matins dans une maison avec, on n’est que des enfants et on joue à Monica, Colin, Catherine et les autres. Et Alain c’est quelqu’un qui est extrêmement passionné, créatif, très très fou du cinéma. Moi quand je l’ai rencontré il était chez lui, assez fatigué et le jour où il  a pris la caméra, le jour où il était sur le tournage il avait quarante ans de moins. Parce qu’il est dans son univers, parce que c’est là où il exprime son imagination, ses rêves, et ça le fait rajeunir, ça le fait… c’est sa vie quoi. Et il a un regard curieux sur plein de choses, il veut vraiment vous connaître, il veut vraiment être surpris tout le temps, il a beaucoup de choses à raconter, il n’est pas du tout quelqu’un qui est dans son coin, sage comme un vieil homme de 91 ans, qui est posé , non, il est quelqu’un qui a un regard qui va dans tous les sens, qui est très curieux, très rapide. Il nous parle souvent des animaux et des petits lézards par exemple. Et il a un truc comme ça, un  regard rapide, entre l’enfant et le lézard, je ne sais comment dire, il est très drôle, et je pense qu’il ait une vie très riche,il aime beaucoup les autres, je pense qu’il s’intéresse à plein de choses, je pense que l’amour le passionne, les femmes le passionnent, le cinéma le passionne.

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Alain Resnais

Pourquoi aime-t-on tellement les films d’Alain Resnais?

Sandrine: C’est mystérieux, quand on tombe amoureux de quelqu’un, on ne sait pas pourquoi on tombe amoureux…C’est un ensemble, c’est presque même pas possible de dire pourquoi. Parce que j’aime ses films, et j’aime ce qu’on dégage de ses films, sa façon d’interroger l’amour, les sentiments, de traiter les personnages. Je le trouve très jeune dans sa tête, il était très subtil et très courageux dans ses films. Aucun de ses films ne se ressemblent, mais tous ses films, si on cache le nom du réalisateur, je sais que c’est un film de lui. Et c’est sa passion pour les acteurs, les actrices, le travail que Sabine a fait avec lui au cour des années, c’est incroyable.

Le film est une adaptation de la pièce de théâtre d’Alan Ayckbourn. Ca se traduit bien en français, qu’en pensez-vous?

Sandrine: Oui. Et Alain, il voulait vraiment que tout soit anglais. Pour qu’on y croit, il voulait que les cigarettes soient anglaises, que mes chaussures soient anglaises. La costumière disait, “non, on ne peut pas changer, il faut que ça soit anglais”. J’ai des chaussettes anglaises. Et peut-être que ça a l’air idiot mais c’est très important parce que  surtout on sent qu’on est anglais, quoi?Les tasses qu’on avait étaient des tasses anglaises, le service…Il avait envie d’être fidèle à l’écriture qu’il défendait, et puis je crois que c’est des contraintes comme ça qui lui donnaient une vraie liberté, avec ces contraintes-là il se permettait plein de choses, rester fidèle à son imaginaire. A la fois c’est  fermé et très ouvert, je trouve. Il est intelligent, Alain, il nous amène dans les maisons de chacun, l’ouverture c’est un peu par le dessin qu’elle arrive, par des routes, des chemins et des voitures etc…mais il ne triche pas, il a envie de raconter l’intérieur, qu’est-ce qui se passe à l’intérieur de chacun d’eux, et ce qui se passe à l’intérieur de ce couple-là, et de ce couple-là.Il a choisi le parti pris du décor, du studio, un peu par obligation au début parce qu’il n’avait pas les moyens de faire de vrais décors de châteaux, de fermes et des trucs, ça lui aurait coûté une fortune. Et aussi, il disait qu’il en avait marre des portes dans le film, il ne voulait plus voir de portes. Il disait que dans tous les films il y avait quantité de portes qu’on ouvrent, qu’on ferment, des couloirs, des portes, il voulait pas ça. Donc il a inventé autre chose mais c’est vrai qu’il en ressort un film qui tourne entre trois endroits. Mais c’est subtil, je trouve. Et il y a un travail de lumière aussi sur les saisons, le temps qui passe. On était tous dans un grand studio mais quand on voit le film on est quand même dans des maisons différentes, avec des saisons différentes. Et ça c’est que la lumière, les effets de décor et ce qu’on raconte.

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Caroline Sihol, Sandrine Kiberlain et Sabine Azéma dans Aimer, Boire et Chanter

Comment pensez-vous que l’histoire se serait passé dans un environnement français?

Sandrine: Mais l’histoire est la même en France, en Angleterre ou ailleurs. Alors, peut-être ce serait moins coloré, parce que si l’on faisait l’équivalent en  France ce serait un petit village, peut-être ce serait moins enchanté, plus sérieux en France, moins “cup of tea”, plus “un café”, voilà. Là il y a tout un truc qui chante, qui est coloré , les tissus anglais à fleurs, la campagne anglaise. Ce serait plus tourmenté  en France, plus cérébrale, plus intellectuel, plus “Madame Bovary”. Là on est plus dans Jane Austin, quelque chose de plus romantique, presque de plus adolescent, en Anglettere mais sinon cette histoire est valable dans tous les pays du monde, depuis des siècles, pour encore des siècles.

Qu’est-ce que vous attire chez les rôles que vous jouez en général?

Sandrine: L’originalité, la singularité des films, il y a des films qui ont changé ma vie, comme spectatrice. Des films de Pialat, des films de Truffaut, de Scorsese, Sidney Pollack. Le rêve pour les acteurs, c’est d’avoir tout d’un coup une histoire et un cinéaste qui ressemble à personne, comme Alain. C’est ça qui m’attire, c’est d’entrer dans le monde de quelqu’un qui a vraiment un monde à lui.

For an English audio version of this interview, please visit FRED FILM RADIO.

 

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